[Ecuries] Un visiteur

Eavan adorait cette odeur. Cheval et cuir mélés.
Cela ressassait beaucoup de souvenirs, pas forcément des bons mais finalement, la vicomtesse en était toujours étrangement apaisée. De toutes les façons, la maitresse des lieux aimait à croire que face à un cheval, un si bel et noble animal, on ne pouvait que ressentir un peu d'humilité. Tant de puissance dans un destrier, tant de grâce dans un palefroi ... Tant d'énergie qu'il fallait apprendre à respecter puis à canaliser pour en tirer le meilleur.

Ses doigts s'attardèrent à caresser Calabrùn. L'animal vieillissait. Il avait porté loin la vicomtesse. Et depuis une paire d'années, il goutait à un repos mérité. Après Genève. Au fond Eavan l'enviait. Elle lui avait accordé ce qu'elle se refusait. C'était encore une bonne monture mais jamais plus elle ne lui imposerait la guerre. Il portait déjà sur son cuir quelques traces. Les chevaux étaient des soldats comme les autres, ils donnaient mais recevaient aussi des coups. Elle en avait perdu un, à ses débuts militaires. Une magnifique jument.

L'esprit d'Eavan fut tirée de ses souvenirs par un bruit en provenance de la porte ... Se pouvait il ... ?

Nicolas suivait le chemin pavé reliant le poste de garde aux écuries toutes proches. Le pas du cheval résonnait à ce contact et rythmait leur déplacement. A part ce bruit, léger et régulier, le silence emplissait le château, les entourait, et se refermait derrière eux.
Ils tournèrent à droite, comme indiqué, et aperçurent lesdites écuries. Le genet accéléra sensiblement, poussant presque Nicolas en avant. Il passa alors sa main sur l'encolure de l'animal et le tapota gentiment:

- allons, Nero! du calme, tu y seras bientôt... nul besoin de t'en prendre à moi, d'accord, camarade?

Et, de fait, ils parvinrent à la porte du lieu de repos peu après, le jeune seigneur et le cheval presque côte à côte désormais. Préférant s'annoncer par courtoisie et habitude, Nicolas appela d'une voix forte mais amicale:

- Cousine Eavan, vous êtes là?

Vivement, Eavan avait un peu épousseté sa tenue. Puis, tandis qu'elle reconnaissait le pas d'un cheval sur le pavé, elle se dirigea vers la sortie des écuries. Au moment où elle apparaissait, l'appel de son cousin s'éteignait.

Ah ! Nicolas ! Quel plaisir de vous voir cher cousin.

Le visage s'était éclairé et sans plus y réfléchir elle alla lui donner une franche embrassade. N'était il pas de la famille après tout ? Se dégageant de son élan d'affection sans doute inhabituel pour qui ne l'aurait croisé qu'en public, elle remarqua le fort bel animal qui avait porté son cousin jusqu'ici. Et un petit mouvement vers l'avant du dit cheval ne lui échappa pas.

Je crois qu'il n'est pas d'humeur à attendre que l'on finisse les salutations, conclut elle avec un sourire.

Sans tarder elle appela un palefrenier qui accourut. Le jeune homme s'approcha et tendit doucement la main pour récupérer les rènes, sans insistance.
Eavan, elle, reportait déjà son attention sur son cousin.

Avez vous fait bonne route ?

Charmé de l'accueil, si plein de naturel, Nicolas se mit à rire en jetant un oeil à sa monture. Il semblait vraiment pressé d'aller prendre sa pitance et du repos. Il laissa les rênes au palefrenier et se saisit de sa besace de selle avant que celui-ci n'emmène le palefroi jusqu'à sa stalle. Reporta son regard sur Eavan, souriant chaleureusement:

- J'ai fait bonne route grâce à Nero que voici, mais je crois que lui en parlerait autrement s'il le pouvait.
La pluie, ou plutôt les pluies répétées de cet hiver, ont creusé de tels trous de boue! Et puis je ne l'ai que depuis quelques semaines. C'est la première fois que je lui faisais faire un trajet si long...

Défaisant les attaches de son mantel fatigué, l'homme se sentit tout de suite plus à l'aise. Il ouvrit ensuite sa besace et en sortit une bouteille, qu'il tendit aussitôt à la vicomtesse:

- Ah avant que j'oublie! voici l'alcool ottoman dont je vous avais parlé par courrier à mon retour! Je ne sais si vous aimerez mais c'est intéressant! Enfin, assez décoiffant serait peut-être un mot plus approprié! Nous avions tous finis dans un bel état lors de notre découverte des alcools locaux dans ce petit village d'Orient, vous savez.

Mais vous-même, comment allez-vous?

Décidément, les occasions officielles durant lesquelles ils se croisaient avait un coup bien fade par rapport à de telles entrevues, plus naturelles. Eavan ne se départissait pas de son sourire tandis que son cousin lui décrivait le voyage.

C'est un bel animal, glissa la maitresse des lieux en le regardant s'éloigner avant de revenir à son cousin.

Il lui tendit une bouteille et elle bu les explications qu'il lui fournit avec beaucoup d'attention et de curiosité. Elle aurait bien aimé voyager jusqu'à ces contrées lointaines. Peut être le ferait elle un jour, partir, découvrir, rencontrer. Il était pour l'instant certain que ce trésor rejoindrait sa cave. Mais sans doute qu'elle n'y resterait pas longtemps, pour peu que la vicomtesse ait une agréable compagnie avec qui l'ouvrir.
Eavan rit lorsque Nicolas parla des découvertes alcooliques d'Orient.

Je n'ose imaginer quels terribles sacrifices vous fûtes contraint de faire afin de gagner ces inestimables connaissances millénaires.

Le phrasé théatral ne parvenait pas à masquer le rire sous jacent de la vicomtesse.

Enfin, vous êtes revenu avec un savoir fort ... intéressant, conclut elle en tapotant la bouteille avec un regard complice.

La mine s'assombrit un peu quand son cousin lui demanda de ses nouvelles.

Oh ... Vous savez bien ce qu'il en est de la Provence ... C'est pire qu'un enfant .. Plus on s'y attache et plus on en souffre. Mais en dehors de ça ... Je vais plutot bien. Remise d'une rechute de cette maladie venue d'Alexandrie, remise de mes mois de campagne militaire ... Et puis, je n'ai guère le choix, la tempête est sur nous.

Eavan invita son cousin, d'un geste de la main, à poursuivre leurs échanges en marchant en direction du corps de bâtiment.

Pour dire vrai, je remercie le Très Haut de m'avoir permis d'avoir ici un havre de paix et de m'avoir offert une sorte de famille.

Reprenant le pas sur ses inquiétudes, un sourire émergea à nouveau sur le visage de la Gaelig.

Je vous offre à boire, à manger ? Un peu de repos peut être ?

Sur le point de réagir aux pointes d'humour qui avaient suivi sa remarque sur l'alcool d'Orient, Nicolas se retint en voyant sa cousine s'assombrir et parler de la Provence. Il soupira intérieurement. Bien sûr qu'il savait, et comprenait, et souffrait de même!
Jugeant toutefois que c'était inutile de le préciser, il se contenta de la suivre, appréciant le retour à une discussion plus légère et renchérissant:

- oh le boire et le manger, je vote pour, Eavan. Le repos attendra quant à lui!

Et comme ça, je pourrais vous entretenir de voyages, de désert, des nuits étoilées d'Orient, sans oublier ce fameux sanctuaire et l'expérience fabuleuse que j'y ai vécue avec une certaine falaise!

Riant de nouveau à ce souvenir pour le moins percutant, le jeune homme redevint tout à coup plus sérieux et regarda la vicomtesse en coin:
- et puis je pourrais aussi vous entretenir de mon fils, votre petit cousin, et de choses plus privées, si cela vous tente... il serait peut-être temps que nous apprenions à nous connaître mieux, non?

Eavan eut un sourire entendu. Doucement elle hocha la tête.

Oui, nous n'avons que trop repoussés cela cher cousin.

La vicomtesse lui assura que du solide et du liquide serait bien vite mis à disposition et qu'elle trouverait bien une pièce accueillante pour accueillir leur discussion. D'un pas militaire, l'habitude étant tenace, elle guida Nicolas dans son castel en direction d'un salon qui serait tout à fait adapté.